C'est avec un grand intérêt que nous avons suivi la couverture médiatique du dernier rapport du Groupe d'experts des Nations Unies sur le Congo le 4 août 2022. La vérité est têtue, elle finit toujours par éclater. Ainsi, les preuves solides recueillies par l'ONU établissent qu'entre novembre 2021 et juillet 2022, l'armée rwandaise (RDF) a lancé des attaques contre l'armée congolaise sur le territoire de la République démocratique du Congo (RDC) et a fourni un soutien logistique et opérationnel aux rebelles du M23.
L'implication de l'armée rwandaise dans le mouvement terroriste M23 est connue depuis des mois par l'armée congolaise, qui a déjà récupéré du matériel militaire et arrêté des soldats rwandais sur le territoire congolais. Pourtant, Kigali poursuit sa politique de déni, alors même que le président rwandais a menacé de manière choquante de déployer des troupes rwandaises "sans demander la permission de qui que ce soit" le 8 février 2022, lors d'une cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres au parlement rwandais, affichant ouvertement son mépris des principes fondamentaux du droit international.
Le gouvernement congolais, les Nations Unies, l'Union africaine et les partenaires bilatéraux et régionaux de la RDC doivent tirer les conséquences de cette preuve de la énième guerre d'agression du Rwanda : des sanctions doivent être prises sans plus attendre, tant sur le plan politique, diplomatique, économique que militaire, conformément aux résolutions 1807 et 2293 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui sanctionnent, entre autres, les individus et les entités qui se livrent à des actes mettant en péril la paix, la stabilité ou la sécurité de la République démocratique du Congo.
Après plus d'un quart de siècle de conflits répétés qui ont fait des millions de morts, de femmes violées et de personnes déplacées, la communauté des Etats ne peut plus accepter passivement que la population congolaise subisse les agressions répétées des pays voisins qui commettent directement ou par procuration des atrocités de masse visant à déstabiliser l'Est de la RDC afin de piller ses ressources minières et naturelles dans un climat d'impunité généralisée.
Ce grand crime transnational dont le Rwanda est l'un des principaux acteurs depuis 25 ans avec la complicité de certains compatriotes corrompus doit cesser maintenant.
En outre, le gouvernement congolais doit de toute urgence réformer le secteur de la sécurité en RDC, seule solution durable pour sécuriser et pacifier le pays. Nous ne pouvons pas compter éternellement sur l'assistance des Nations Unies, ni poursuivre une politique de sous-traitance de notre sécurité nationale à des Etats tiers. Nous devons donc définir rapidement une politique de défense adaptée aux défis du présent et de l'avenir, allouer les moyens nécessaires à l'exécution de la loi de programmation militaire et mobiliser une réelle volonté politique pour réformer nos forces de défense. Par ailleurs, nous ne pouvons continuer à accepter que certains éléments de notre armée nationale collaborent avec certaines milices qui déstabilisent notre pays.
Enfin, le monde ne peut continuer à fermer les yeux sur les atrocités commises en RDC depuis plus d'un quart de siècle. Le cercle vicieux de la violence et de l'impunité doit prendre fin. Une stratégie nationale holistique pour la justice transitionnelle en RDC doit être adoptée et mise en œuvre. Comme tous les peuples, les Congolais ont droit à la justice, à la vérité et à des réparations, mais aussi à des garanties que les atrocités ne se répéteront pas. La justice est un outil essentiel pour prévenir la répétition des conflits, mais elle est la pièce manquante du puzzle pour établir la paix en RDC. Elle est une condition préalable à la réconciliation et à la coexistence pacifique en RDC et dans la région des Grands Lacs africains.
Les solutions existent. Nous exhortons les dirigeants congolais et les partenaires privilégiés de la RDC tels que les Nations Unies, les États-Unis et l'Union européenne à créer les conditions nécessaires au développement d'un commerce propre et transparent des ressources dont regorge la RDC et à veiller à ce que les droits de l'homme et les principes fondamentaux du droit international soient respectés par tous les États de la région des Grands Lacs africains.
Dr. Denis Mukwege