Le bilan macabre des récents combats entre l'armée congolaise et les forces armées rwandaises et leurs supplétifs du M23 dans la ville de Goma se dessine peu à peu. Selon le rapport de l'Organisation Mondiale de la Santé, au 31 janvier 2025, 773 corps sans vie ont été dénombrés et d'autres jonchent encore les avenues dans un état de décomposition avancé. A ces décès s'ajoutent environ 3 000 blessés, sans assistance suffisante et efficace.
Cette horrible boucherie humaine s'ajoute aux statistiques de plus de six millions d'hommes, de femmes et d'enfants tués en trois décennies dans ces guerres sans fin imposées au peuple congolais.
Une fois de plus, la communauté internationale ne dira pas qu'elle ne savait pas. Depuis des années, les rapports de l'ONU soulignent la responsabilité du Rwanda dans l'organisation et la conduite de ces guerres, mais à ce jour, rien de significatif n'a été fait pour mettre fin à ces graves violations du droit international et humanitaire. Au contraire, l'Union européenne et plusieurs pays occidentaux ont maintenu leur coopération avec le Rwanda et continuent à financer indirectement, à coup de millions de dollars, ses expéditions guerrières et meurtrières en RD Congo ainsi que le pillage de ses ressources minières.
Depuis des décennies et encore ces dernières semaines, je n'ai cessé d'alerter et de mobiliser l'opinion internationale sur l'urgence d'imposer la paix en RD Congo et dans la région des Grands Lacs africains, mais en vain. Comparée à l'intervention de l'Occident dans la guerre en Ukraine, celle du Congo est une guerre négligée et les vies congolaises n'ont objectivement pas assez de valeur pour mériter l'attention.
C'est la politique du double standard et de l'humanisme à deux vitesses que nous avons décriée et dénoncée à plusieurs reprises.
Pourtant, des solutions existent pour enrayer définitivement cette catastrophe.
Tout d'abord, il est urgent de réduire l'aide militaire et financière au Rwanda et d'imposer des sanctions économiques.
Ensuite, l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la région, connu sous le nom d'Accord-cadre d'Addis-Abeba, signé le 24 février 2013 par 11 pays (RD Congo, Rwanda, Burundi, Ouganda, Angola, Tanzanie, Zambie, Soudan du Sud, République centrafricaine) rejoints par le Kenya et le Soudan le 31 janvier 2014 ainsi que par l'ONU, l'Union africaine, la CIRGL, la SADC et parrainé par l'Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et la France, avait déjà tracé la voie d'une paix juste et durable dans la sous-région des Grands Lacs africains. Il est plus qu'urgent de mettre en œuvre ses recommandations.
Enfin, l'exploitation des ressources naturelles étant le véritable nœud du problème, je suis depuis des semaines et en ce moment même en Europe pour sensibiliser les gouvernements, les institutions internationales, les entreprises et les organisations de la société civile à l'importance d'un approvisionnement légal, pacifique et gagnant-gagnant de ces ressources dans la perspective d'un " Business for Peace " qui promeut l'intérêt durable du peuple congolais en même temps que celui des entreprises désireuses de disposer des matières premières stratégiques dont regorge le sous-sol congolais. C'est pourquoi, en réponse et en appui à l'initiative du Pacte de Paix des Eglises Catholique et Protestante du Congo (CENCO-ECC), je renouvelle mon appel à l'organisation d'une " Conférence Internationale sur la Paix Durable en RD Congo et dans la Région des Grands Lacs Africains ".
Je condamne fermement cette nouvelle attaque du Rwanda-M23 et les massacres qui ont suivi,
Je condamne fermement le silence complice et l'inaction de la communauté internationale face aux graves violations des droits de l'homme et des droits humanitaires commises en République démocratique du Congo,
J'appelle le peuple congolais à s'unir autour de la paix à travers les initiatives de la CENCO-ECC et d'une conférence internationale sur la paix,
J'exprime ma compassion aux populations du Nord-Kivu et de Goma dans la douloureuse épreuve qu'elles traversent,
J'adresse mes plus sincères condoléances aux familles de nos soldats tombés au combat et à tous ceux qui ont perdu un être cher dans cette guerre,
J'exprime tout mon soutien aux populations du Sud-Kivu et de Bukavu qui vivent dans la peur, hantées par le spectre d'une guerre qui se rapproche dangereusement.
Je m'engage à poursuivre sans relâche mon plaidoyer national et international en faveur de la paix en République démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs africains.
Tenez bon mes chers compatriotes, DIEU EST POUR NOUS.
Oslo, le 2 février 2025
Dr. Denis Mukwege