A l'occasion de la 8ème célébration de la Journée internationale pour l'élimination de la violence sexuelle dans les conflits, nous souhaitons exprimer notre solidarité avec toutes les victimes de crimes sexuels, nous saluons le courage des survivants qui luttent pour leurs droits, et nous lançons un appel solennel à tous les Etats pour qu'ils ne tolèrent plus le recours à la violence sexuelle en temps de guerre et qu'ils mettent fin à ces graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui sont une honte pour notre humanité.
Cette date du 19 juin commémore l'adoption en 2008 de la résolution 1820 du Conseil de sécurité qui, en condamnant l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre, constitue un tournant décisif dans le programme "Femmes, paix et sécurité" et dans la reconnaissance de la violence sexuelle liée aux conflits comme une menace pour la sécurité collective, un obstacle à la consolidation de la paix et une entrave à la réalisation des droits de l'homme et des objectifs du Millénaire pour le développement.
En outre, le viol et les autres crimes sexistes ont été codifiés à juste titre dans le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale comme un crime de guerre, un crime contre l'humanité, et même comme un acte constitutif du génocide.
Aujourd'hui, grâce à cette reconnaissance et à l'évolution du droit, aucun dirigeant politique ou militaire ne peut ignorer ou négliger le fait qu'il est contraire au droit international d'utiliser le viol et la violence sexuelle comme méthode de guerre et comme stratégie de domination et de terreur.
Pourtant, nous constatons avec amertume que la volonté politique fait souvent défaut, que les ressources financières sont insuffisantes, et que ce cadre normatif peine à être efficace : le viol et la violence sexuelle sont utilisés dans tous les conflits contemporains à travers le monde - comme dans la situation actuelle en Ukraine - les ressources restent limitées pour fournir des services de qualité aux victimes, et la culture de l'impunité dont jouissent les auteurs et les instigateurs de ces actes ignobles reste plus la norme que l'exception.
Nous exhortons donc une nouvelle fois la communauté des Etats et des donateurs à mobiliser des ressources humaines et financières pour faire face aux conséquences des violences sexuelles commises en période de conflit et à redoubler d'efforts pour prévenir la récurrence de ces crimes. Cela implique de soutenir les victimes par une assistance holistique de qualité, ainsi que de soutenir les associations de survivants. Il est également fondamental de lutter contre le patriarcat et d'assurer la promotion de l'égalité des sexes et de la participation active des femmes à la vie politique, de mener des réformes du secteur de la sécurité et de la justice tenant compte de la dimension de genre, et de combattre le climat d'impunité qui règne encore largement.
En effet, nous ne cessons de plaider pour le renforcement des efforts de responsabilisation des auteurs et des commanditaires de crimes sexuels, par le biais de la justice nationale et, en l'absence de capacité et de volonté, de la justice pénale internationale, ainsi que pour une responsabilisation accrue des États.
L'interdiction du viol et de la violence sexuelle entraîne des obligations de la part des États, en particulier l'obligation de protéger, ce qui implique de criminaliser la violence sexuelle, de punir efficacement les auteurs et d'offrir une réparation adéquate aux victimes. Ce n'est qu'en renforçant la responsabilité, tant au niveau individuel qu'au niveau de l'État, que nous pourrons empêcher la récurrence des crimes et tracer une ligne rouge contre le recours à la violence sexuelle liée aux conflits.
C'est dans ce contexte que nous saluons la décision historique de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui, en 2021, a déclaré l'État responsable des violations des droits de la journaliste colombienne Jineth Bedoya, 20 ans après qu'elle ait été victime d'un enlèvement et d'abus sexuels.
Enfin, nous soutenons pleinement les recommandations du dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies et le travail du bureau de sa Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, qui visent à améliorer le niveau de conformité des parties au conflit avec les normes et les résolutions établies par le Conseil de sécurité.
Le respect par les États du cadre normatif international mis en place depuis l'adoption de la résolution 1325 est si faible qu'il est impératif d'envoyer un message politique fort et clair en renforçant les mécanismes de conformité. Le non-respect des normes internationales par les acteurs étatiques et non étatiques doit être dénoncé et sanctionné : des listes d'États et de groupes armés doivent être établies et publiées à intervalles réguliers, et des sanctions ciblées doivent être appliquées aux auteurs et aux responsables politiques et militaires, notamment sur la base des crimes sexuels liés aux conflits. Ceux qui tolèrent ou ordonnent la transformation du corps des femmes et des filles, ainsi que des hommes et des garçons, en champs de bataille doivent être mis au ban de la communauté internationale, se voir imposer des interdictions de voyage et de visa, et leurs avoirs et ressources financières gelés sans plus attendre.
Enfin, ces derniers mois, nous avons assisté à un élan de solidarité et de mobilisation sans précédent pour sanctionner l'invasion de l'Ukraine et répondre aux besoins humanitaires. Par ailleurs, les appels à la documentation des crimes et aux enquêtes laissent espérer un regain d'intérêt pour la justice internationale. C'est dans ce contexte que nous appelons la communauté des Etats à mettre fin aux doubles standards et à un humanisme à géométrie variable et à plusieurs vitesses.
La souffrance est universelle et les besoins en termes de soins de qualité et de justice le sont tout autant. Il est temps de mobiliser une réelle volonté politique chaque fois que notre humanité est attaquée par la barbarie et d'agir avec la même fermeté contre les violences sexuelles liées aux conflits où qu'elles se produisent.
Denis Mukwege