Déclaration du Dr Mukwege à l'occasion de la Journée de la justice pénale internationale

Le 17 juillet 2022 - La Journée de la justice pénale internationale commémore l'adoption du Statut de Rome, le traité établissant la Cour pénale internationale (CPI), qui vise à rendre justice aux victimes de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crime d'agression. Cette journée du 17 juillet rassemble tous ceux qui sont épris de justice, qui travaillent quotidiennement avec les victimes et qui cherchent à prévenir les crimes les plus graves qui constituent de sérieuses menaces pour la paix et la sécurité internationales. Nos pensées vont à toutes les victimes congolaises d'hier et d'aujourd'hui qui attendent que justice soit faite.

À cette occasion, nous demandons au Procureur de la CPI de maintenir la situation en République démocratique du Congo (RDC) au premier rang des priorités de son bureau, car des atrocités de masse défiant l'imagination et choquant profondément la conscience humaine s'y déroulent quotidiennement depuis près de 30 ans, dans une indifférence choquante et un climat d'impunité quasi généralisé.

En effet, depuis plus d'un quart de siècle, la RDC a fait l'objet de multiples guerres d'agression et divers pays tiers, notamment l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi, continuent de diriger divers groupes armés pour déstabiliser le pays et piller ses ressources naturelles et minérales.

C'est dans ce contexte que nous devons rappeler à l'opinion publique internationale que les conflits qui ont ravagé la RDC sont les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. Les morts, les victimes directes et indirectes, les femmes violées, les déplacés se comptent par millions, entraînant une très grave catastrophe humanitaire et plongeant la population congolaise dans un profond traumatisme.

Personne ne peut dire que nous ne savons pas ce qui se passe en RDC. Le rapport cartographique des Nations Unies publié en 2010 a répertorié 617 des incidents les plus graves commis entre 1993 et 2003. Ces crimes se poursuivent sans relâche et la mission de maintien de la paix de l'ONU qui opère en RDC depuis plus de 20 ans comptabilise quotidiennement, mensuellement et annuellement les graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui caractérisent le quotidien des Congolais. Ces crimes imprescriptibles ne peuvent rester impunis, y compris ceux commis actuellement au Nord-Kivu par le M23 avec le soutien du Rwanda.

Ainsi, nous avons toujours soutenu l'action de la CPI en RDC. Cependant, 20 ans après l'entrée en vigueur du Statut de Rome, la CPI n'a condamné que trois miliciens pour des crimes commis exclusivement en Ituri. Nous sommes pleinement conscients que l'Etat congolais a la responsabilité première de poursuivre et de juger les crimes commis sur son territoire, mais malgré les efforts de la justice militaire, nous pensons que les autorités nationales n'ont toujours pas la capacité de relever les défis de l'impunité des crimes passés et présents.

En outre, nous sommes convaincus que l'action de la CPI sera complémentaire au processus de justice transitionnelle en cours en RDC. En effet, la CPI n'est compétente que pour les crimes les plus graves commis après le 1er juillet 2002. Nous appelons donc les autorités congolaises à adopter une stratégie nationale holistique pour la justice transitionnelle en RDC, et demandons le soutien et l'implication des Nations Unies pour sa mise en œuvre.

Nous saluons la Conférence sur la responsabilité des crimes commis en Ukraine qui s'est tenue à La Haye cette semaine, et notons avec intérêt que tous les participants ont souligné l'impératif de mobiliser la même volonté pour toutes les situations où des crimes de masse et des agressions sont commis.

Le temps est venu de mettre fin à l'humanisme à géométrie variable et aux doubles standards qui minent la crédibilité des institutions internationales et de reconnaître le droit du peuple congolais à la justice, à la vérité, aux réparations et aux réformes institutionnelles visant à garantir la non-répétition des atrocités. C'est la condition sine qua non pour briser le cycle de la violence et de l'impunité, et pour consolider l'état de droit, la démocratie et la paix au cœur de l'Afrique.

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