Bukavu le 24 août 2020 - Déclaration à l'occasion de l'anniversaire du massacre de Kasika
A l'occasion de la commémoration du massacre de Kasika et par devoir de mémoire, je voudrais m'associer, une fois de plus, à la douleur des familles des victimes et de toute la population de Kasika.
En effet, comme le montre le rapport cartographique des Nations Unies :
"Le 24 août 1998, des militaires de l'ANC/APR ont massacré plus de mille civils, dont de nombreuses femmes ainsi que des enfants et des bébés dans les villages de Kilungutwe, Kalama et Kasika, sur le territoire de Mwenga, à 108 kilomètres de Bukavu. Avant d'être tuées, la plupart des femmes ont été violées, torturées et ont subi des mutilations génitales. Le massacre a été organisé en représailles à la mort, le 23 août, d'une vingtaine d'officiers de l'ANC/APR dans une embuscade tendue par des Mayi-Mayi sur la route entre Bukavu et Kindu. De nombreux corps d'enfants et de bébés ont été jetés dans les latrines. Avant de partir, les militaires ont pillé les trois villages et incendié de nombreuses maisons."
Le Mwami de Lwindi, François Mubeza, est assassiné, et sa femme, enceinte de jumeaux, est éventrée.
Selon le Bulletin du Portail catholique suisse, "les soldats ont tué le père Stanislas Wabulakombe, vicaire de la paroisse, ainsi que trois religieuses de la Congrégation des Filles de la Résurrection, un séminariste et plusieurs autres paroissiens laïcs."
Ce massacre de Kasika, dont la nature cruelle dépasse l'imaginable, illustre l'intention des auteurs de détruire non seulement des vies humaines mais aussi les référents symboliques de tout un peuple pour le marquer à jamais.
Vingt-deux ans après ces atrocités, les systèmes judiciaires nationaux et internationaux traînent les pieds face à ces crimes odieux et les auteurs restent impunis.
Comment notre monde peut-il garder un silence aussi pesant face à une telle barbarie ?
Pourtant, ce massacre est rigoureusement et professionnellement documenté par les experts des Nations Unies au paragraphe 353 des 617 violations graves des droits de l'homme énumérées dans le rapport mapping. Certaines peuvent être qualifiées de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, voire de crimes de génocide.
La conséquence est que depuis plus de deux décennies, des cycles de violence endeuillent notre pays en particulier en raison de l'impunité dont jouissent les instigateurs et les bourreaux.
Il est plus qu'urgent que les recommandations du rapport de cartographie soient mises en œuvre pour briser le règne de l'impunité et mettre fin à cette violence.
Sans vérité et justice, il n'y aura pas de paix durable en RD Congo et ni les victimes ni les tortionnaires ne pourront reconstruire un avenir pacifique pour les générations futures.
Dr. Denis Mukwege