Remarques préparées pour le Forum d'Oslo pour la liberté, en français et en anglais.
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
C'est une grande source d'inspiration pour moi d'être aujourd'hui à vos côtés, femmes et hommes épris de paix, de justice et de liberté. Chaque jour, nous luttons à travers le monde pour la promotion et la protection des droits humains, dans des régions où bien souvent l'arbitraire et l'oppression règnent, et où la paix, la justice et la liberté représentent des idéaux à atteindre. Chaque jour, nous sommes confrontés à la violence et à la folie humaine, mais nous répondons par l'amour et nous gardons l'espoir des lendemains meilleurs.
Nous sommes d'accord avec le slogan du Forum : une étincelle peut allumer un feu. Le battement des ailes d'un papillon peut provoquer un ouragan. Chacun de nous peut contribuer à l'édification d'un monde meilleur. Chacun de nous peut être un catalyseur pour le changement.
A l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), malgré les différents accords de paix, censés aboutir à une transition démocratique en présence de la plus grande mission de paix des Nations Unies, nous vivons aujourd'hui dans une période de ni guerre ni paix.
Nous sommes confrontés à une nouvelle forme de conflits menés par une pléthore de groupes armés, qui s'apparentent à des entreprises criminelles, et qui opèrent de manière opaque avec la complicité d'hommes d'affaires cupides et sans scrupules sous l'œil indifférent de nos leaders corrompus, qui sacrifient nos terres et nos peuples pour des intérêts personnels, dans une économie largement militarisée.
Au début de ce mois, plus de 50 personnes ont été massacrées dans les Provinces du Nord Kivu et de l'Ituri. Des enfants ont été décapités et des femmes enceintes éventrées à la machette près de Beni, à proximité d'une base des Forces armées de la RDC et des Forces de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en RDC, pourtant habilitée à utiliser " tous les moyens nécessaires " pour protéger la population civile.
Les autorités de la RDC n'ont même pas réagi à ces atrocités de masse récurrentes. Le Congo, ce géant malade, se trouve à nouveau à un tournant critique : tous les signaux d'alerte sont au rouge !
Dans un contexte préélectoral explosif et incertain, nous assistons à une dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire et nous observons une dérive autoritaire inquiétante du pouvoir entraînant une recrudescence du nombre de violations des droits humains et une restriction de l'espace des libertés pour les citoyens, la société civile et l'opposition.
La population est livrée à elle-même, et tous les efforts du régime en place semblent résider dans son souhait de s'accrocher au pouvoir en instaurant un climat de peur et en ayant recours à diverses manœuvres dilatoires destinées à créer une impasse politique. L'ordre constitutionnel est en péril, ainsi que la perspective et l'aspiration d'une Nation à vivre la première transition démocratique de son histoire.
Nous sommes vraiment bien placés pour savoir qu'à chaque pic de dégradation sécuritaire et d'instabilité politique et institutionnelle correspond un pic dans le nombre de femmes victimes de violences sexuelles. Voici près de vingt ans que nous traitons les victimes de la violence à l'Hôpital de Panzi.
Depuis lors, nous avons soigné plus de 45.000 femmes, de jeunes filles et de bébés, parfois âgés d'à peine 6 mois ! Et nous avons développé un modèle d'assistance holistique qui comprend quatre volets : le médico-chirurgical, le psycho-social, le socio-économique et légal.
Le modèle d'assistance holistique développé à Panzi a commencé à être dupliqué, sous forme de " One stop center " ou de " Guichet unique ", dont l'objectif est d'intégrer tous les besoins liés à la santé de la femme dans sa globalité au sein du système de soins de santé primaires. La plus-value de notre système est sa vocation à insérer la santé mentale dans le système de santé de soins primaires existants.
Notre stratégie vise à transformer la souffrance en force, transformer la peine en pouvoir, et d'outiller les femmes pour développer leur capacité à devenir autonomes à leur sortie. Et nous constatons avec satisfaction que de nombreuses femmes, après quelques semaines ou mois de traitement, d'accompagnement et de renforcement de capacités, deviennent de véritables activistes des droits humains, protégeant non seulement leurs droits, mais aussi ceux de leurs enfants et de leurs communautés, faisant d'elles des leaders dans leur milieu et des véritables catalyseurs pour un changement radical du système oppressif de notre société en perte de valeurs. Nous pensons que la révolution morale viendra par ces femmes.
Je souhaite partager avec vous l'histoire d'une femme qui m'a fort bouleversé. Après avoir été violée et contaminée par le VIH, devenue veuve suite à l'assassinat de son mari, Rose va être prise en charge par l'Hôpital pour le traitement du Sida. A son admission, cette femme adulte pesait à peine 30 kilos, et son pronostic vital était en jeu. Elle était hantée par la mort, angoissée à l'idée de laisser ses enfants orphelins de père et de mère. Après avoir été entourée d'amour et de soins appropriés, elle a repris doucement.
A la sortie de l'Hôpital, elle a été insérée dans un programme de coupe et couture et d'agriculture. Au bout de 5 ans, Rose est venue nous présenter à Panzi ses enfants qui sont désormais scolarisés ; elle a pu s'acheter sa maison grâce à la vente de boutures de manioc, et elle évalua, avec un sourire de satisfaction au bout des lèvres, son capital à 10.000$, alors que le micro-crédit qu'elle avait reçu s'élevait à 50$ ! Quelle résilience, quelle force !
Pour mettre fin au viol des femmes à l'Est du Congo, il faut enrayer la violence et consolider le chemin de la paix et la démocratie. Il faut briser le silence et l'indifférence qui ont trop longtemps prévalu. Il faut mobiliser les hommes contre les violences faites aux femmes. Il faut transférer le stigmate qui pèse sur les victimes sur les épaules et la conscience de leurs bourreaux. Il faut lutter contre l'impunité pour tous ces crimes qui choquent la conscience de l'humanité et utiliser tous les mécanismes de la justice transitionnelle : poursuites nationales et internationales, réparations individuelles et collectives, assainissement des institutions et des services publics, mécanismes d'établissement de la vérité.
Pour mettre fin au viol des femmes à l'Est du Congo, il faut une réelle volonté politique de l'Etat congolais qui persiste dans son narratif de déni et il est plus que temps de mettre en œuvre la responsabilité de protéger les populations civiles. Il est crucial que la communauté internationale, le monde diplomatique, les bailleurs de fonds et la justice pénale internationale ne laissent plus transgresser les lignes rouges sans réagir.
Pour mettre fin au viol des femmes à l'Est du Congo, la dignité humaine doit être placée au cœur des préoccupations économiques et financières et il faut couper les liens existants entre les conflits armés et l'exploitation illégale des ressources naturelles, parfois appelées " minerais des conflits " ou " minerais de sang ", dont regorgent la région où je vis, et dont le monde entier a besoin pour nos technologies modernes. Nous sommes les témoins d'une nouvelle forme d'esclavagisme des femmes, mais aussi des enfants qui travaillent dans des conditions inhumaines, et qui sont victimes de toutes sortes d'abus. Les consommateurs que nous sommes doivent être informés pour ne pas être indirectement associés par nos achats à des crimes odieux sans savoir les liens existants entre leurs téléphones et autres gadgets et l'instabilité en RDC.
Ensemble, défenseurs des droits humains et décideurs politiques, acteurs économiques et dirigeants de sociétés, citoyens et consommateurs, hommes et femmes épris de paix, de justice et de liberté, nous pouvons mettre fin à la violence sexuelle et construire un monde meilleur pour les générations futures, dans une liberté plus grande, où l'égalité des sexes deviendra une réalité, dans l'intérêt de tous.
Je gage que nous y parviendrons !
Je vous remercie.
Chers invités, Mesdames et Messieurs :
C'est une grande source d'inspiration pour moi de me retrouver parmi tant de femmes et d'hommes engagés pour la paix, la justice et la liberté. Chaque jour, nous luttons dans le monde entier pour la promotion et la protection des droits de l'homme, dans des régions soumises à l'arbitraire et à l'oppression, où la paix, la justice et la liberté sont des idéaux encore à atteindre. Chaque jour, nous sommes confrontés à la violence et à la folie humaine, mais nous répondons par l'amour et nous espérons un avenir meilleur.
Nous sommes d'accord avec le thème du Forum : une étincelle peut mettre le feu aux poudres. Le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher un typhon. Chacun d'entre nous peut contribuer à la construction d'un monde meilleur. Chacun d'entre nous peut être un catalyseur de changement.
Dans l'est de la République démocratique du Congo, en dépit de plusieurs accords de paix censés ouvrir la voie à une transition démocratique sous la surveillance de la plus grande mission de maintien de la paix des Nations unies, nous vivons aujourd'hui une période ni de guerre ni de paix.
Il s'agit d'une nouvelle forme de conflit impliquant une pléthore de groupes armés. Comme les entreprises criminelles, ils opèrent dans l'opacité, avec la complicité d'hommes d'affaires sans scrupules, et dans l'indifférence de nos dirigeants corrompus, qui sacrifient notre terre et notre peuple à leurs intérêts personnels, dans une économie largement militarisée.
Au début de ce mois, plus de 50 personnes ont été tuées dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri. Des enfants ont été décapités et des femmes enceintes ont été éventrées à la machette près d'une base des forces armées de la RDC et des forces de la mission de l'ONU pour la stabilisation de la RDC - bien que la mission ait pour mandat d'utiliser "tous les moyens nécessaires" pour protéger la population civile.
Les autorités de la RDC n'ont même pas réagi à ces atrocités de masse récurrentes. Le Congo, ce géant malade, est à nouveau à un tournant critique : tous les signaux d'alarme sont au rouge !
Dans un contexte pré-électoral tendu et incertain, nous assistons à la dégradation de la sécurité et de la situation humanitaire et à un glissement inquiétant du gouvernement vers l'autoritarisme, ce qui entraîne une augmentation du nombre de violations des droits de l'homme et des restrictions des libertés des citoyens, de la société civile et de l'opposition.
La population est livrée à elle-même et tous les efforts du régime en place semblent résider dans sa volonté de s'accrocher au pouvoir en créant un climat de peur et en utilisant diverses manœuvres destinées à créer une impasse politique. L'ordre constitutionnel est en péril, ainsi que l'opportunité et l'aspiration d'une nation à vivre le premier changement démocratique de gouvernement de son histoire.
Nous sommes malheureusement bien placés pour savoir que chaque pic de dégradation de la situation sécuritaire et d'instabilité politique et institutionnelle correspond à un pic du nombre de femmes victimes de violences sexuelles.
Nous soignons les victimes de cette violence depuis près de 20 ans à l'hôpital de Panzi.
Depuis, nous avons soigné plus de 45 000 femmes, jeunes filles et bébés, dont certains n'ont que 6 mois ! De plus, nous avons développé un modèle de traitement holistique qui comprend 4 volets : médico-chirurgical, psychosocial, socio-économique et juridique.
Le modèle de traitement holistique développé à Panzi a commencé à être reproduit, sous la forme d'un "centre unique" ou d'un "guichet unique" dont l'objectif est d'intégrer tous les besoins de santé de la femme dans le système de soins de santé primaires. La valeur ajoutée de notre système est sa volonté d'intégrer la santé mentale dans les soins primaires existants.
Notre stratégie vise à transformer la souffrance en force, à transformer la douleur en pouvoir et à permettre aux femmes de développer leur capacité à devenir autonomes lorsqu'elles sortent. Nous avons observé avec satisfaction qu'après plusieurs semaines ou mois de traitement, de soutien et de renforcement, de nombreuses femmes deviennent de véritables militantes des droits de l'homme, protégeant non seulement leurs droits, mais aussi ceux de leurs enfants et de leurs communautés. Elles deviennent des leaders dans leur communauté et de véritables catalyseurs pour un changement radical du système oppressif qui s'empare de notre société, qui est en train de perdre ses valeurs. Nous pensons que ces femmes mèneront la révolution morale.
Je souhaite partager avec vous l'histoire d'une femme qui m'a beaucoup touchée. Après avoir été violée et infectée par le SIDA, devenue veuve suite à l'assassinat de son mari, Rose a été admise à l'hôpital pour un traitement contre le SIDA. Lors de son hospitalisation, cette femme adulte pesait à peine 30 kg et son pronostic de survie était incertain. Elle était hantée par la mort, angoissée à l'idée de laisser ses enfants orphelins. Après avoir reçu de l'amour et des soins adéquats, elle a commencé à se rétablir lentement.
Après sa sortie de l'hôpital, elle s'est inscrite à un programme d'enseignement de la couture et de l'agriculture. 5 ans plus tard, Rose a amené ses enfants à l'hôpital Panzi pour nous les présenter. Ils étaient alors tous scolarisés. Elle a pu acheter sa maison avec l'argent qu'elle gagnait en vendant du manioc et, avec un sourire, elle a estimé sa valeur nette à 10 000 dollars, même si le microcrédit qu'elle avait reçu s'élevait à 50 dollars. Quelle résistance, quelle force !
Pour mettre fin aux viols de femmes dans l'est du Congo, nous devons éradiquer la violence et consolider le chemin vers la paix et la démocratie. Nous devons rompre le silence en réponse au déni et à l'indifférence qui prévalent depuis trop longtemps. Nous devons mobiliser les hommes contre la violence à l'égard des femmes. Nous devons transférer l'opprobre des victimes sur les épaules et la conscience de leurs agresseurs. Nous devons lutter contre l'impunité de tous ces crimes qui choquent la conscience de l'humanité. Nous devons utiliser tous les outils et mécanismes de la justice transitionnelle : poursuites des auteurs, au niveau national et international, et réforme des services publics et des institutions, qui sont des mécanismes pour l'établissement de la vérité.
Pour mettre fin aux viols de femmes dans l'est du Congo, il faut une véritable volonté politique de la part du gouvernement congolais, qui persiste dans son discours de déni. Par ailleurs, il est grand temps d'établir la responsabilité de protéger les populations civiles. Il est crucial que la communauté internationale, le monde diplomatique, les bailleurs de fonds et la justice pénale internationale ne laissent pas les lignes rouges être franchies sans réagir.
Pour mettre fin aux viols contre les femmes dans l'Est du Congo, la dignité humaine doit être au cœur des intérêts économiques et financiers. Nous devons rompre les liens existants entre les conflits armés et l'exploitation illégale des ressources naturelles. Souvent appelées "minerais de conflit" ou "minerais de sang", ces ressources sont abondantes dans la région où je vis et alimentent nos technologies modernes. Nous sommes les témoins d'une nouvelle forme d'esclavage des femmes, mais aussi des enfants qui travaillent dans des conditions inhumaines et sont victimes de toutes formes d'abus. Les consommateurs que nous sommes doivent être informés afin de ne pas être associés indirectement, par nos achats, à des crimes odieux. Nous devons être conscients des liens entre nos téléphones portables et autres appareils et l'instabilité en RDC.
Ensemble, défenseurs des droits de l'homme et décideurs politiques, acteurs économiques et dirigeants de sociétés, citoyens et consommateurs, hommes et femmes engagés pour la paix, la justice et la liberté, nous pouvons mettre fin à la violence sexuelle et construire un monde meilleur pour les générations futures, avec une plus grande liberté, où l'égalité des sexes deviendra une réalité, dans l'intérêt de tous.
Je suis convaincu que nous réussirons ! Je vous remercie.