COMMUNIQUE SUR LE REMANIEMENT DU COMMANDEMENT MILITAIRE DU NORD KIVU

6 septembre 2023, Bukavu - C'est avec stupéfaction que nous avons appris la nomination du Général Nduru Chaligonza à la tête des opérations militaires au Nord-Kivu, en remplacement du Gouverneur militaire du Nord-Kivu, le Général Constant Ndimi, qui a été rappelé à Kinshasa pour consultations suite à l'envoi de la Commission interministérielle dépêchée à Goma sur instruction du Président de la République pour faire la lumière sur le massacre à grande échelle commis contre des civils le 30 août par des éléments de la Garde Républicaine, et pour établir les responsabilités de cette tragédie.

Le 2 août 2023, jour de commémoration du génocide congolais, le Président a "encouragé le Parlement à voter des lois pour écarter les auteurs de crimes des postes de responsabilité", donnant ainsi l'espoir à la population congolaise en général, et aux victimes et communautés affectées par des décennies de conflit armé en particulier, que la politique immorale de promotion des anciens chefs rebelles prendrait fin. Dans le même ordre d'idées, il y a moins d'un an, peu après l'Assemblée générale des Nations unies de septembre 2022, le président Tshisekedi s'est exprimé sur la faiblesse de l'armée congolaise dans une interview accordée à RFI et à France 24, en déclarant : "Dans cette armée, il y a de la bravoure : " Dans cette armée, il y a de la bravoure, il y a des éléments qui méritent l'hommage de la nation et qui sont plus nombreux que les brebis galeuses (...) Il faut purger, séparer le bon grain de l'ivraie, etc. (...) Il faut savoir quels sont les éléments qui peuvent continuer leur carrière dans l'entreprise et ceux dont il faut se débarrasser pour créer une nouvelle dynamique".

La récente nomination du général Nduru Chaligonza au poste de commandant des opérations au Nord-Kivu est loin d'inaugurer cette nouvelle dynamique tant attendue : un ancien chef rebelle est remplacé par un ancien chef rebelle ! Le général Nduru Chaligonza, RCD-K/ML et ex-UPC, est connu pour être proche de Thomas Lubanga et Bosco Ntaganda, tous deux poursuivis et jugés par la Cour pénale internationale ! Il a été cité à plusieurs reprises dans les jugements de la CPI contre ces deux chefs de guerre.

Comment est-il possible d'afficher un tel mépris pour la justice et les victimes ? Faut-il s'étonner que la population n'ait pas confiance dans les institutions qui sont censées la défendre ? Après les nominations de Bemba et Nyamwisi au gouvernement, cette nouvelle nomination d'un ancien chef rebelle à un poste stratégique démontre à l'opinion publique que le changement de paradigme n'est pas près de s'opérer avec l'administration Tshisekedi. Les paroles et les actes de Tshisekedi se contredisent quotidiennement, mettant en péril la nation congolaise et les chances de redressement du pays.

Dans une précédente déclaration, nous avions souligné la nécessité pour le régime actuel de démontrer sa capacité à faire preuve d'une éthique de responsabilité et de respect du principe de cohérence. Notre inquiétude est renforcée par la gravité des massacres commis par l'armée, qui reste trop souvent une menace pour la population, car elle est infiltrée par des agresseurs et contribue à la perpétuation d'une économie de guerre dans les provinces orientales.

Bien que le Président de la République se soit engagé à inscrire la justice transitionnelle à l'agenda du gouvernement en décembre 2020, suscitant de grands espoirs parmi les victimes et les survivants, il n'a toujours pas adopté de stratégie nationale de justice transitionnelle, et ne semble pas enclin à manifester une volonté politique sincère d'entreprendre les réformes institutionnelles nécessaires pour éliminer les "brebis galeuses", alors que le lien le plus évident entre justice transitionnelle et réforme institutionnelle est précisément la mise en place d'une procédure de vetting pour les agents de l'Etat, notamment les forces de sécurité et de défense.

Or, le seul moyen durable de pacifier et de sécuriser les provinces en conflit, et de tourner la page sur plus d'un quart de siècle de conflits récurrents et dévastateurs, est précisément de s'engager dans une réforme profonde du secteur de la sécurité. Comme le disait Thomas Sankara, le célèbre leader du pays des hommes intègres : "Sans formation patriotique, un soldat est un criminel en puissance". Espérons que la population fera preuve d'un véritable élan patriotique pour sauver la Nation, qui est en danger existentiel !

Dr. Denis Mukwege

Lauréat du Prix Nobel de la Paix

Contenu similaire