Mukwege : Mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits

Déclaration du Dr. Denis Mukwege, 19 juin 2016

Nous célébrons aujourd'hui la première Journée internationale pour l'élimination de la violence sexuelle dans les conflits.

Nos pensées vont immédiatement à toutes les victimes, toutes les femmes et tous les hommes, filles et garçons, parfois même les bébés, qui ont été abusés, torturés et soumis au viol comme stratégie de guerre. Le viol qui devient une attaque généralisée ou systématique contre une population civile pour des raisons nationales, politiques, ethniques ou raciales est un crime contre l'humanité. Le viol est une stratégie de guerre rentable, cruelle, inhumaine et dégradante déployée dans de trop nombreux conflits modernes.

Le viol en tant qu'arme de guerre ne doit pas être confondu avec le viol ou les relations sexuelles non consenties. Il s'agit avant tout d'une stratégie d'humiliation, de pouvoir et de soumission, généralement commise en public et visant des civils. Il couvre également l'esclavage sexuel et la stérilisation forcée. Les viols systémiques et orchestrés sont souvent une arme qui chasse les gens de chez eux, détruit la vie familiale et le tissu social de communautés entières. Il vise à détruire la source de la vie et, par conséquent, il nous concerne tous. Le viol dans les conflits laisse des traces derrière lui, notamment des enfants nés du viol, et l'horreur persistante lorsque le viol et la violence sexiste se métastasent et se répandent dans les communautés et les sociétés traumatisées, leurs valeurs étant perdues, souvent pendant des générations.

La première fois que j'ai témoigné devant le Conseil de sécurité des Nations unies sur les viols commis dans les régions orientales de la République démocratique du Congo, un diplomate d'un des membres permanents était réticent à l'idée même de discuter de cette question au Conseil de sécurité des Nations unies.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés. Il y a une prise de conscience croissante au niveau mondial et une multitude de résolutions ont été adoptées par le Conseil de sécurité dans le sillage de la résolution 1325. Après un trop long silence et une culture du déni, la question attire désormais l'attention et de plus en plus de survivants sont conscients de leur droit à la justice et de leur droit d'accéder aux soins de santé en toute sécurité.  

L'adoption de cette journée internationale envoie un message fort : la communauté internationale a ouvert les yeux et appelle chacun d'entre nous, hommes et femmes, à agir contre ce crime odieux. Chacun d'entre nous peut faire la différence. Nous pouvons contribuer à faire évoluer les mentalités pour mettre fin au crime de viol, qui est souvent présenté comme le plus ancien de l'histoire de l'humanité, mais qui reste trop souvent impuni.

Nous devons cependant redoubler d'efforts pour sensibiliser l'opinion et les décideurs politiques. Ensemble, nous devons chercher à mettre fin à l'impunité, et à obtenir justice pour les victimes de viols dans les conflits soumis à ces crimes qui choquent la conscience de notre humanité collective. 

La loi représente l'outil le plus efficace pour prévenir les crimes sexuels, dans le pays ou à l'étranger. L'affaire Akayesu, qui a fait date, a établi un précédent juridique et créé un cadre pour la loi, pour les décideurs, les survivants et leurs communautés. Ces derniers mois, nous avons été encouragés par la condamnation de responsables militaires au Guatemala pour des actes commis contre des femmes mayas au début des années 1980. La condamnation de l'ancien président du Tchad, Hissène Habré, au Sénégal, a été une victoire bienvenue pour les victimes et les associations de la société civile, ainsi que pour la vérité - et l'histoire. La justice pénale internationale doit se concentrer sur ceux qui orchestrent et supervisent ces crimes, ainsi que sur les auteurs individuels. Malgré les modestes progrès accomplis, je reste consternée par la recrudescence des violences sexuelles pendant les conflits, laissant l'écrasante majorité des victimes continuer à souffrir en silence, sans bénéficier des services qui font tant défaut pour leur rendre leur dignité.  

Il est temps d'agir, de passer des paroles aux actes et d'établir une stratégie. Des actions concrètes, assorties d'une réelle volonté politique, renforcent les engagements pris lors du sommet de Londres et nous aident à mettre un terme à la violence sexuelle en période de conflit. Il faut un engagement clair et sans équivoque de chacun d'entre nous, en partenariat avec la communauté internationale. Nous devons établir une ligne rouge contre l'utilisation du viol comme arme de guerre. Nous devons créer un héritage durable de paix et de démocratie et non un héritage d'impunité et d'indifférence.

Dr. Denis Mukwege, PhD


Communiqué de presse du Dr. Denis Mukwege à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences sexuelles en période de conflit

Aujourd'hui, nous célébrons la première journée internationale pour l'élimination des violences sexuelles en période de conflit.

Nos pensées vont immédiatement à toutes les victimes, hommes et femmes, garçons et jeunes filles, parfois même des enfants et des bébés, qui ont été abusés, torturés, et soumis au viol commis comme une stratégie de guerre - technique cruelle, inhumaine et dégradante qui se répand dans de trop nombreux conflits modernes.

Le viol comme arme de guerre ne doit pas être confondu avec une relation sexuelle non consentie, car il est commis le plus souvent sur des civils, en public, et de manière méthodique, massive et systématique. Les communautés locales sont également victimes d'une pléthore de violences sexuelles comme l'esclavage sexuel et les stérilisations forcées. Il s'agit avant tout d'une stratégie d'humiliation, de pouvoir et d'assujettissement. Le viol commis avec extrême violence vise non seulement à détruire l'appareil génital de la femme, mais avant tout à terroriser la population, à la forcer au déplacement, à détruire la vie familiale et le tissu social. Il vise donc à détruire la source de la vie et nous concerne tous. De plus, il continue à laisser des traces multiples après la guerre - notamment pour tous les enfants issus du viol, lorsque le viol et les violences basées sur le genre se répandent comme des métastases dans des sociétés traumatisées et en perte de valeurs, souvent pour plusieurs générations. 

Les conséquences du viol commis avec extrême violence s'apparentent aux effets des armes classiques, voire des armes de destruction massive. La première fois que j'ai témoigné devant le Conseil de Sécurité sur les viols commis à l'Est de la République Démocratique du Congo, un diplomate d'un des pays membres permanents avait fait remarquer son incompréhension à débattre de cette question au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Depuis lors, des progrès ont été accomplis : une prise de conscience grandissante gagne l'opinion publique mondiale et le Conseil de Sécurité a adopté plusieurs résolutions importantes dans la foulée de la résolution 1325. Après un trop long silence et une culture de déni de la réalité, la question retient à présent l'attention et de plus en plus de survivantes sont informées de leurs droits à la justice mais aussi à l'accès à la santé. 

L'adoption de cette journée internationale envoie un signal fort : la communauté internationale a ouvert les yeux et interpelle chacun de nous à briser l'indifférence, à se mobiliser ensemble, hommes et femmes, contre ce crime odieux. Chacun de nous doit se révolter face à l'inacceptable, et chacun de nous a vocation à contribuer au changement des mentalités pour mettre fin à ce crime souvent présenté comme le plus vieux de l'histoire de l'humanité, mais qui est toujours resté impuni. 

Telle est la raison pour redoubler les efforts de lutte contre l'impunité pour ces crimes qui choquent la conscience de l'humanité. La justice représente l'outil le plus efficace pour prévenir la répétition de ces crimes à caractère sexuel. Depuis le précédent historique de l'affaire Akayesu lors du génocide au Rwanda, nous avons été encouragés par la condamnation récente de responsables militaires au Guatemala pour des faits commis contre des femmes Maya au début des années 80. La condamnation de Hissène Habré au Sénégal a aussi été saluée par tous comme une victoire des associations de victimes et de la société civile sur la vérité et l'histoire, et un précédent important sur la base du principe de la compétence universelle. Nous gageons que la justice pénale internationale ne va plus s'intéresser qu'aux simples exécutants ou aux petits poissons car malgré les timides progrès enregistrés, nous constatons avec effroi une recrudescence de violences sexuelles en période de conflit et l'écrasante majorité des victimes continue de souffrir en silence, sans bénéficier des soins si nécessaires pour la restauration de leur dignité.

Il est plus que temps d'agir, de transformer les paroles en actes et d'établir une stratégie et des actions concrètes avec une réelle volonté politique suite aux déclarations faites au Sommet de Londres pour mettre fin aux violences sexuelles en période de conflit. Il faut un engagement clair et univoque pour que la communauté internationale établisse une ligne rouge contre l'usage du viol et les violences sexuelles utilisées comme une arme de guerre. Et ne la laisse plus se faire transgresser dans l'impunité et l'indifférence. 

Dr. Denis Mukwege

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