C’est avec stupéfaction que nous avons pris connaissance de la désignation du Général Nduru Chaligonza pour diriger les opérations militaires au Nord-Kivu en remplacement du Gouverneur militaire du Nord Kivu, le Général Constant Ndimi, rappelé en consultation à Kinshasa suite à l’envoi de la Commission interministérielle envoyée à Goma sur instruction du Président de la République pour faire la lumière sur le massacre à grande échelle commis sur des civils en date du 30 août par des éléments de la garde républicaine et établir les responsabilités dans ce drame.
En date du 2 août 2023, à l’occasion de la journée commémorative du génocide congolais, le Président a « encouragé le Parlement à prendre des lois visant à écarter les auteurs de crimes de l’accès aux responsabilités », laissant espérer à la population congolaise en général et aux victimes et aux communautés affectées par des décennies de conflits armés en particulier que la politique immorale de promouvoir des anciens chefs rebelles allait prendre fin. Dans le même registre, il y a moins d’un an, peu après l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2022, le Président Tshisekedi s’était exprimé au sujet de la faiblesse de l’armée congolaise dans une interview à RFI et France 24 en disant : « dans cette armée il y a de la bravoure, il y a des éléments qui méritent l’hommage de la nation et qui sont plus nombreux que les brebis galeuses…Il faut purger, séparer le bon grain de l’ivraie, et ainsi de suite. (…) savoir qui sont les éléments qui peuvent continuer leur carrière là-dedans, qui il faut extirper pour impulser une nouvelle dynamique ».
La récente nomination du Général Nduru Chaligonza au poste de commandant des opérations au Nord Kivu est loin d’inaugurer cette nouvelle dynamique tant attendue : un ancien chef rebelle est remplacé par un ancien chef rebelle ! En effet, le Général Nduru Chaligonza, RCD-K/ML et ex-UPC, est connu pour être un proche de Thomas Lubanga et de Bosco Ntaganda, tous deux poursuivis et jugés par la Cour Pénale Internationale ! Il a été cité plusieurs fois dans les arrêts de la CPI contre ces deux chefs de guerre.
Comment est-ce possible d’afficher un tel mépris pour la justice et pour les victimes ? Comment s’étonner que la population n’ait aucune confiance dans les institutions censées les défendre ? Après les nominations de Bemba et Nyamwisi au gouvernement, cette nouvelle nomination d’un ancien chef rebelle à un poste stratégique démontre à l’opinion publique que le changement de paradigme n’est pas près de se réaliser avec l’administration Tshisekedi. Les paroles et les actes de ce dernier se contredisent chaque jour, mettant en péril la Nation congolaise et les chances de redresser le pays.
Nous avions déjà souligné dans une précédente déclaration l’impératif pour le régime actuel de démontrer sa capacité à faire preuve d’une éthique de responsabilité et de respecter le principe de cohérence. Notre inquiétude s’accroît face à la gravité des massacres commis par l’armée qui demeure trop souvent une menace pour la population, tant elle est infiltrée par les agresseurs et contribue à la pérennisation d’une économie de guerre dans les Provinces de l’Est.
Alors que le Président de la République s’était engagé à placer la justice transitionnelle à l’agenda du gouvernement en décembre 2020, suscitant un grand espoir auprès des victimes et des survivants, il n’a toujours pas adopté une stratégie nationale de justice transitionnelle, et ne semble pas toujours enclin à concrétiser une volonté politique sincère pour entamer les réformes institutionnelles indispensables pour mettre à l’écart les « brebis galeuses » alors que le lien le plus manifeste entre la justice transitionnelle et la réforme des institutions consiste précisément dans la mise en place d’une procédure d’assainissement (vetting) des agents de l’Etat, notamment des forces de sécurité et de défense.
Pourtant, le seul moyen durable pour pacifier et sécuriser les Provinces en conflit et tourner la page de plus d’un quart de siècle de conflits récurrents et dévastateurs est précisément d’entamer une profonde réforme du secteur de la sécurité car comme le disait Thomas Sankara, le célèbre leader du pays des hommes intègres : « Sans formation patriotique, un militaire est un criminel en puissance ». Gageons que la population fasse preuve d’un réel sursaut patriotique pour sauver la Nation qui est en danger existentiel!
Fait à Bukavu le 6 septembre 2023
Dr Denis Mukwege
Prix Nobel de la Paix