Conférence publique autour du thème « Justice, paix et droits humains aujourd’hui, est-ce possible ? 

Université de Strasbourg – 19 octobre 2024

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de m’inviter à prendre la parole et suis reconnaissant à l’ONG Inter Développement et Solidarité d’avoir organisé cet évènement en partenariat avec l’Université de Strasbourg, la Ville de Strasbourg, la collectivité européenne d’Alsace et le Conseil Régional du Grand Est.

Les discours d’ouverture prononcés par trois éminents Professeurs ont planté le décor du sujet qui nous rassemble « Justice, paix et droits humains aujourd’hui, est-ce possible ? ». Merci pour vos riches contributions.  

Permettez-moi de commencer mon allocution par un aperçu global de l’état du monde avant de nous concentrer sur la situation qui prévaut en République Démocratique du Congo (RDC).

Le monde d’aujourd’hui est à la croisée des chemins : le système des Nations Unies érigé au lendemain de la 2e guerre mondiale est à bout de souffle et une nouvelle gouvernance mondiale capable de répondre aux grands enjeux de l’humanité et de la planète tarde à se mettre en place.

En effet, la création du système onusien en 1945 ambitionnait de tourner l’une des pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité avec le mantra : « Plus jamais ça ». Pour ce faire, la communauté des États s’est mis d’accord pour faire émerger un monde basé sur le respect de la liberté et de la dignité humaine proclamée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les Conventions de Genève.

Un monde basé sur les relations amicales entre États, le multilatéralisme et le principe de l’interdiction du recours à la force qui est à la base du système de sécurité collective inscrit dans la Charte des Nations Unies. Un monde basé sur la justice pénale internationale, dont la genèse a débuté à Nuremberg et à Tokyo et trouve aujourd’hui sa forme la plus achevée avec la Cour Pénale Internationale.

Durant la guerre froide, la logique des rivalités et l’essor du monde bipolaire a mis entre parenthèses ces ambitions, puis la chute du mur de Berlin en 1989 laissait augurer un nouvel ordre mondial multipolaire plus pacifique. Un nouvel essor du multilatéralisme et une coopération renforcée pour trouver des solutions aux problèmes qui ne peuvent être résolus à l’échelon national se profilait dans les relations internationales. Nous pensons notamment à la  lutte contre la pauvreté, au changement climatique et à la protection de l’environnement, la gestion des migrations, le terrorisme et les nouvelles formes de conflits, ainsi que l’émergence de l’intelligence artificielle.

Alors que l’interdépendance entre les peuples n’a jamais été aussi grande, la tentation du repli et la résurgence inquiétante des nationalismes et du populisme a repris depuis le 11 septembre 2001 et de nouveaux rapports de force et clivages géopolitiques plongent l’humanité dans la déstabilisation et l’incertitude et mettent à rude épreuve le système multilatéral et sa capacité à prévenir les tensions et à résoudre les conflits.

En effet, le Conseil de Sécurité semble incapable de remplir sa mission première, qui est le maintien de la paix et de la sécurité internationales, comme l’illustre l’agression de l’Ukraine par un État membre permanent disposant d’un pouvoir de veto au sein de ce Conseil.  

Alors qu’un état de droit international basé sur le respect du principe de responsabilité devrait régir le système des Nations Unies, la loi du plus fort s’impose dans un nombre croissant de situations : des Chefs d’État et de gouvernement méprisent de plus en plus ouvertement les principes de base du droit international, violent la Charte des Nations Unies, bafouent les conventions internationales relatives aux droits humains et au droit international humanitaire, ignorent les décisions de la Cour Internationale de Justice, et envahissent d’autres pays ou prennent leur propre peuple en otage sans être amenés à rendre des comptes face à la paralysie d’un système de sécurité collective devenu inopérant.

De plus, l’application du principe du « deux poids deux mesures » dans les relations internationales conduit à des frustrations profondes ayant souvent alimenté la violence. Ce principe est intimement lié à l’utilisation du droit de veto par les membres permanents du Conseil de Sécurité, qui sont aussi tous des puissances nucléaires, mais nient leur responsabilité de protéger les peuples en danger quand leurs intérêts géostratégiques et économiques sont en jeu.

Ces doubles standards ont profondément érodé la crédibilité des institutions internationales et régionales chargées de maintenir la paix et la sécurité et de protéger les droits humains universels.

Enfin, la démocratie et l’état de droit sont en net recul à travers le monde. Les idées extrémistes tendent à se banaliser dans la société et dans le discours politique de nombreux pays, même démocratiques. Les inégalités au sein des pays et entre les pays se creusent. Aucune Nation n’est épargnée par la tendance préoccupante à la régression des droits humains.  Comme lors de chaque période de crise ou d’instabilité, ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut.

C’est dans ce contexte que des voix sans cesse plus nombreuses, notamment issues des pays du Sud, réclament une réforme des Nations Unies.

L’efficacité de cette institution intergouvernementale créée par les États dépend de la volonté politique de ses États membres qui fait aujourd’hui largement défaut pour garantir la sécurité collective et assurer la responsabilité de protéger les droits humains et les populations civiles. Cet impératif de réforme voire de rénovation du système international était au cœur des débats de la 79e Assemblée Générale des Nations Unies, qui s’est tenu à New York le mois dernier.

A l’occasion du « Sommet pour le Futur », le Secrétaire Général Antonio Guterres a affirmé que : « nous ne pouvons pas façonner l’avenir de nos petits-enfants avec un système conçu pour nos grands-parents », exhortant les dirigeants du monde à relancer et à renforcer une collaboration multilatérale pour mieux faire face aux menaces existentielles et aux défis du XXIe siècle.

Lors de ce Sommet, un Pacte pour l’avenir a été adopté pour réformer et renforcer le système multilatéral en se focalisant sur 5 priorités : le développement durable et le financement du développement ; la paix et la sécurité internationales ; les sciences, la technologie et l’innovation et la coopération numérique ; les jeunes et les générations futures ; et la transformation de la gouvernance mondiale.

Deux autres documents ont été adopté lors de ce Sommet : un Pacte numérique mondial, qui constitue le premier accord universel sur l’intelligence artificielle et vise aussi à réduire les fractures numériques, et une Déclaration sur les générations futures, qui exhorte les dirigeants à exercer un leadership orienté sur le long terme impliquant la participation des jeunes à toutes les décisions qui les concernent.

Ces Pactes et cette Déclaration ont vocation à constituer le point de départ de réformes visant à restaurer la confiance dans les institutions, qui devra passer par une réforme du Conseil de Sécurité et des institutions financières internationales, et à faire en sorte que le système multilatéral revitalisé reflète mieux les problèmes mondiaux de notre époque, notamment en favorisant une meilleure représentation des pays en développement et en mettant fin à la marginalisation de l’Afrique au sein des instances de décisions internationales.

Les questions transversales qui ont animé les débats ayant abouti à l’adoption de ces trois textes lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies sont intimement liés à ceux de la conférence qui nous rassemble aujourd’hui : la justice, les droits humains et la paix.

S’il semble difficile de dire que leurs réalisations soient possible dès aujourd’hui, il faut relever que ces évolutions traduisent dores et déjà une avancée, car pour traiter un problème, il doit d’abord être reconnu. Le fait que ces débats autour des réformes indispensables pour une nouvelle gouvernance mondiale capable de relever les défis du futur de l’humanité animent les réflexions des dirigeants du monde laisse augurer la possibilité d’un nouveau départ.

Même s’il est évident qu’il y aura des résistances face à cet impératif de réformes car ceux qui détiennent le pouvoir sont souvent peu enclin au changement.

Il s’agira aussi d’encadrer davantage les acteurs privés, le monde des affaires et les lobbys dont l’influence sur le monde politique est grandissante. Il suffit de voir l’influence de ces lobbys à Bruxelles ou à Washington pour comprendre leur capacité de pression sur les décideurs politiques.

Pour avancer dans la bonne direction, il faudra donc un véritable leadership global orienté tant sur les besoins du présent que des générations futures, et déployer une volonté politique plus forte afin de traduire les paroles en actions, les engagements en obligations et les résolutions en résultats !

Mesdames, Messieurs,

Au cœur de cette globalisation sauvage, de cette géopolitique cynique et de cette ère d’impunité se trouve la RDC, un pays ravagé par plus d’un quart de siècle de guerres chroniques d’agression pour des motifs bassement économiques.

En effet, le système économique globalisé est en grande partie articulé sur les ressources minières et les richesses naturelles qui abondent en RDC. Ces matières premières stratégiques sont indispensables pour assurer la croissance économique des grandes puissances et générer des profits colossaux pour les entreprises peu regardantes sur l’origine de ces minerais. 

Ainsi, l’instabilité politique et sécuritaire que les Congolais subissent depuis 30 ans est entretenue par des guerres par procuration où les pays voisins, qui détiennent un véritable permis de tuer des grandes puissances, sont instrumentalisés pour déstabiliser et piller l’est du Congo afin de satisfaire à bas prix les besoins en ressources minières des multinationales et du marché mondial, tout en laissant la population congolaise et nos communautés meurtries et traumatisées dans un état de pauvreté inacceptable.

Beaucoup d’intérêts sont donc en jeu pour faire main basse sur les ressources naturelles et les minerais stratégiques du Congo, et beaucoup d’États et d’acteurs privés gagnent au maintien de l’instabilité et du chaos organisé pour piller le pays.

La énième agression de l’armée rwandaise depuis la résurgence du M23 en novembre 2021, en violation flagrante du droit international et de la Charte des Nations Unies, s’inscrit dans cette même optique.

La Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies en RDC, Madame Bintou Keita, a rapporté dans une allocution faite le 30 septembre au Conseil de Sécurité qu’: « au Nord-Kivu, la consolidation du contrôle administratif du M23 sur les Territoires de Masisi et de Rutshuru lui a permis d’établir un contrôle total sur la production de coltan ». Elle a ajouté : « Le commerce de la région de Rubaya, qui fournirait plus de 15 % de la production mondiale de tantale, rapporte environ 300 000 dollars par mois au groupe armé. »

En effet, de nombreux rapports de l’ONU et de la société civile ont documenté que le contrôle des matières premières stratégiques, dont une grande partie des réserves mondiales se trouve à l’Est du Congo, est intimement liés aux guerres d’agression et d’occupation récidivistes menées par les régimes de Kampala et de Kigali depuis les années ‘90 sous couvert de divers mouvements pseudo-rebelles (AFDL, RCD-Goma, CNDP, M23), avec des conséquences dramatiques pour la société congolaise : plus de 6 millions de morts, plus de 7 millions personnes déplacés et un nombre incalculable de femmes violées.

Il s’agit en effet du conflit le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale et de l’une des pires crises humanitaires des temps modernes, qui est pourtant largement négligée en raison du manque d’attention médiatique, du manque de volonté politique et du manque de financement pour réponde au désastre humanitaire.

Cette indignation sélective a amené le Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Tetros Adhanom Ghebreyesus, à exprimer sa stupéfaction face aux doubles standards qu’il rencontre dans les différents foyers de crise à travers le monde en disant : « Je ne sais pas si le monde accorde vraiment la même attention aux vies des Noirs et des Blancs ». Poser la question, c’est y répondre.

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, les pays économiquement avancés planifient la décarbonisation de leur économie pour enrayer la crise climatique. L’Union européenne a fixé l’année 2035 pour passer au « tout électrique » et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande en minéraux essentiels à la transition énergétique triplera d’ici 2030 et quadruplera d’ici 2040.

La pression sur la RDC, qui est la première source mondiale de cobalt, représentant les deux tiers des approvisionnements mondiaux en métal utilisé pour les batteries, sera donc croissante et constituera un enjeu géostratégique de premier plan pour l’économie mondiale dans les décennies à venir.

Alors que plusieurs générations de Congolais ont déjà été sacrifiées pour la révolution de la communication et du numérique grâce au coltan, nous ne pouvons accepter sans réagir que les générations futures soient encore assujetties et anéanties pour que le monde économiquement développé puisse avancer vers une transition énergétique dite « verte », mais en vérité « rouge » du sang des femmes et des enfants congolais !

Mesdames, Messieurs,

C’est dans ce contexte qu’il y a urgence que le monde politique et économique et les citoyens-consommateurs sortent de leur indifférence en vue de mettre fin au paradoxe de l’abondance et à la tragédie congolaise.

Comme l’a souligné le Pape François lors de son séjour à Kinshasaen 2023 : « Après le colonialisme politique, un “colonialisme économique” tout aussi asservissant s’est déchainé. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent “étranger” à ses habitants.»

Il est plus que temps de changer de cap en transformant les minerais des conflits en minerais pour la paix et le développement. La dignité humaine et la justice sociale doivent être placées au centre des intérêts économiques et des efforts pour construire une globalisation saine et une paix durable en RDC.

Pourtant, dans le contexte de la globalisation de l’économie où l’Occident ne domine plus le monde, la classe dirigeante congolaise cupide, corrompue et déconnectée du peuple brade les ressources naturelles et minières du pays, principalement à la Chine, dont la puissance économique et militaire lui permet d’opérer en Afrique comme une force néocoloniale qui, de surcroît, ne s’embarrasse pas de narratifs faits de « mission civilisatrice » ou « promotion des droits humains », qui avaient été l’apanage du monde occidental depuis 150 ans.

Je tiens ici à attirer l’attention de l’auditoire sur le fait que l’Union Européenne (EU), dont la plus-value est basée sur les valeurs inscrites dans ses textes fondateurs, a signé en février 2024 un protocole d’accord avec le Rwanda pour favoriser le développement de chaînes de valeur « durables » et « résilientes » pour les matières premières alors que des sources concordantes rapportent que la guerre d’agression qu’impose le Rwanda à la RDC trouve sa motivation principale dans le pillage et le recel international des matières stratégiques présentes dans le sol congolais.

Ce déficit de cohérence de la Commission européenne avec le cadre normatif européen illustre une perte des valeurs fondamentales de l’EU dans ses relations avec le reste du monde et un cynisme croissant dans les relations internationales qui aboutit à sacrifier la dignité humaine pour des intérêts économiques et géostratégiques.

En outre, la responsabilité des élites congolaises qui confondent trop souvent leurs intérêts personnels et les biens communs en bradant le pays et en érigeant un système de prédation généralisé doit être traitée avec urgence si l’on veut mettre un terme à la perpétuation du drame congolais et voir émerger à la tête du pays un leadership respecté qui pourra enfin nouer des partenariats gagnants-gagnants avec le reste du monde.

Ce nouveau paradigme ne sera rendu possible que par une solidarité croissante entre les pays africains et une intégration renforcée de l’Union africaine.

Mesdames, Messieurs,

Cette responsabilisation de la classe dirigeante en RDC est aussi indispensable pour galvaniser la volonté politique nécessaire pour traiter les causes profondes de la violence, à savoir l’exploitation illicite et l’exportation illégale des ressources minières (1) et la culture de l’impunité (2), qui sont au cœur de nos efforts de plaidoyer.

 1. L’exploitation illicite et le commerce illégal des ressources naturelles

Nous avons déjà évoqué que la guerre en RDC est principalement économique et s’apparente à une grande criminalité transnationale dont le Rwanda et l’Ouganda sont les acteurs principaux depuis 25 ans, avec la complicité de multinationales et des certains politiciens et militaires congolais cupides et corrompus.

Divers rapports ont établi que le pillage des ressources agricoles, forestières et minières présentes en grande quantité à l’Est du Congo constitue l’une des causes profondes des conflits et de l’instabilité. La corrélation entre l’exploitation illégale et la prédation des ressources minières et naturelles et les graves violations des droits de l’homme, notamment l’utilisation du viol et des violences sexuelles comme une arme de guerre, a été largement documentée, notamment dans le rapport Mapping de l’ONU.

Pour enrayer l’économie de guerre à la base des souffrances des communautés à l’Est du pays, il faudra donc mettre fin aux liens qui existent entre les groupes armés congolais et étrangers et les sociétés d’exploitation minière, les réseaux de contrebande et de trafics et les filières opaques d’approvisionnement transfrontalier.

Diverses initiatives ont vu le jour pour tenter d’assurer une traçabilité fiable visant à garantir que l’extraction des minerais n’est pas liée au travail des enfants, à l’exploitation sexuelle des femmes ou à l’activité des groupés armés.

Nous pensons notamment au Guide de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais en provenance de zones de conflit ou à haut risque, à la loi-cadre américaine Dott Franck, au règlement de l’Union européenne ou encore au mécanisme de certification de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs.

Ces initiatives vont dans la bonne direction mais ne sont pas suffisantes car ces textes ne sont pas contraignants à tous les maillons de la chaîne et la corruption à haut niveau entrave la réalisation des objectifs de ces initiatives. En outre, certains géants économiques ne sont pas concernés par ces normes, notamment la Chine, acteur central du pillage des ressources de la RDC et pays bien connu pour la transformation des produits qui inondent nos marchés.  

Ainsi, les efforts visant à promouvoir le devoir de diligence et assurer la traçabilité n’ont jusqu’à ce jour pas empêché que de vastes quantités de minerais soient encore exportées illégalement vers des pays voisins tels que le Rwanda et l’Ouganda.

A titre d’exemple, une étude de l’ONG Global Witness démontre que « seuls 10% des minerais exportés par le Rwanda avaient été réellement extraits sur son territoire, les 90% restants ayant été introduit illégalement à partir de la RDC. » En outre, selon l’Office des mines du Rwanda, en 2023, ses recettes d’exportation de minéraux ont augmenté de 43 %, atteignant plus de 1,1 milliard de dollars.

Ces chiffres attestent de la motivation profonde de la récente guerre d’agression des Forces de défense rwandaises et du M23 qui, grâce à l’occupation de larges zones du Nord Kivu, dont la région de Rubaya riche en sites miniers, permet de générer une nette hausse des exportations de minerais des conflits au départ du Rwanda.

Comme l’a soulevé Mme Keita au Conseil de Sécurité : « Le blanchiment criminel des ressources naturelles de la RDC exportées clandestinement hors du pays renforce les groupes armés, entretient l’exploitation des populations civiles, dont certaines sont réduites à l’esclavage de fait, et compromet les efforts de rétablissement de la paix. » C’est à juste titre qu’elle a souligné qu’: «à  moins que des sanctions internationales ne soient imposées à ceux qui profitent de ce commerce criminel, la paix restera insaisissable et les civils continueront de souffrir. »

Mesdames, Messieurs,

Si l’on veut mettre fin à l’instabilité en RDC, il est donc impératif d’assurer une traçabilité complète des lieux d’extraction dans les mines de l’Est du Congo jusqu’au produit fini acheté par les consommateurs dans le monde entier. 

En outre, des mécanismes de contrôle et de redevabilité contraignants doivent être mis en place aux niveaux national, régional et international pour assurer la transparence des chaines d’approvisionnement et l’obligation de rendre des comptes sur les risques sociaux et environnementaux.

Enfin, il s’agit également d’investir massivement vers la transformation des matières premières en vue de raccourcir le lien entre la mine et le lieu de transformation du minerai. Ainsi, le contrôle sur la chaine et ses intervenants sera rendu plus aisé, et le pays producteur pourra dégager une réelle plus-value, rendant ainsi possible un meilleur partage du profit en amont de la chaine, permettant aux communautés locales de bénéficier des dividendes des richesses du sous-sol national.

Il s’agit aujourd’hui de ne pas répéter les erreurs du passé de la révolution des nouvelles technologies de la communication pour s’assurer que la transition énergétique verte soit juste, équitable, durable et exempte de conflit pour les communautés et les pays d’où sont extraits les minerais nécessaires pour enrayer la crise climatique.

Le chemin de la paix passera aussi par la justice.

2. L’impératif de la justice

Face à l’échec patent de toutes les tentatives de solutions politiques et sécuritaires pour mettre fin à la violence armée, il faut combattre la culture de l’impunité qui alimente la répétition des crimes de masse et représente donc un obstacle sérieux à toute tentative de recherche d’une paix durable.

Chaque jour, des crimes qui défient l’imagination et devraient profondément heurter la conscience de l’humanité sont commis en RDC comme de simples faits divers, dans un climat prévalent d’indifférence, ce qui contribue à la dépréciation de la vie humaine et à la répétition des atrocités de masse.

Toutes les échelles de responsabilité – individuelles et étatiques – doivent être établies. La justice est la pièce manquante du puzzle en RDC pour briser le cercle vicieux de la violence et de l’impunité. Nous ne pouvons continuer de fermer les yeux sur les atrocités commises en RDC depuis plus d’un quart de siècle ! Le temps est venu de mettre en avant les interconnexions étroites existantes entre la prévention des conflits, la justice transitionnelle, la consolidation de l’état de droit et l’instauration de la paix.

Tel est le sens de nos efforts de plaidoyer pour la mise en œuvre des recommandations du rapport Mapping concernant les violations les plus graves des droits humains et droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC, publié il y a déjà 14 ans par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme.

Mesdames, Messieurs,

Il n’y aura pas de paix durable sans la justice. A l’instar de tous les peuples, les Congolais ont non seulement droit à la paix, qui est le prérequis indispensable pour la jouissance de tous les droits de l’homme, mais aussi à la justice, à la vérité, à des réparations et à des réformes institutionnelles visant à la non-répétition des crimes les plus graves.

Le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle est la recommandation principale du rapport Mapping. Parmi les 617 crimes documentés par ce rapport, qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire même d’éléments constitutifs du crime de génocide, il y a non seulement des malades assassinés sur leur lit d’hôpital mais aussi des femmes qui ont été enterrées vivantes après avoir été violées et empalées ainsi que des croyants qui cherchaient refuge dans des Églises et qui ont été calcinés. Ces crimes les plus graves sont imprescriptibles et ne peuvent être ni oubliés ni rester impunis !

Face à l’ampleur des crimes qui ont ravagé notre pays depuis des décennies, le système judiciaire congolais trop souvent miné par la corruption, des interférences politiques et un manque d’indépendance n’a pas les moyens de relever les défis de l’impunité. En outre, la dimension internationale des conflits entraine la nécessité d’une réponse internationale de la justice.

C’est dans ce contexte que la Fondation Panzi a publié dès 2021 une note de plaidoyer pour l’adoption d’une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC. Cette stratégie devra combiner des mécanismes judiciaires et non judiciaires, qui sont complémentaires.

En vue de briser le cycle de la violence et de l’impunité, les poursuites judiciaires doivent figurer au premier plan des mesures de justice transitionnelle à envisager. Il s’agit d’un préalable à la réconciliation et au rétablissement de la paix.

Alors que le Président Félix Tshisekedi avait promis en 2020 de placer la justice transitionnelle à l’agenda du gouvernement, seul un mécanisme non-judiciaire, le Fonds national de réparations – le FONAREV –  a été installé mais n’est pas encore opérationnel et effectif, ce qui engendre beaucoup de déception dans le chef des victimes. 

De plus, malgré le lancement d’un processus de consultation populaire sur la justice transitionnelle sous l’impulsion du ministre des Droits humains en 2022 et la mise en place d’un Comité scientifique chargé de l’élaboration du projet de politique nationale de justice transitionnelle en RDC, cette politique n’a toujours pas été adoptée à ce jour et nous déplorons que le programme d’actions du gouvernement pour 2024-2028 ne contienne qu’une mention cosmétique à la justice transitionnelle.

Ce constat amer démontre qu’il n’y a pas une réelle volonté politique du régime en place pour faire avancer la justice transitionnelle en RDC, ce qui est très regrettable mais peu étonnant quand on sait que des criminels de guerre ont troqué leurs uniformes pour occuper des fonctions au sein des institutions et du gouvernement.

Mesdames, Messieurs,

Les Congolaises et les Congolais ont aussi droit à leur Nuremberg. Telle est la raison pour laquelle nous plaidons aux côtés des victimes et des survivant.es pour l’établissement d’un Tribunal international pénal pour le Congo et/ou des chambres spécialisées mixtes.

En outre, nous insistons sur l’impérieuse nécessité de réformer le secteur de la sécurité et à mettre en place une procédure d’assainissement des forces de sécurité et de défense, mais aussi des services de renseignement.

Après des décennies de déni, de manipulation et de mensonges, la recherche de la véritéapparaît comme indispensable pour établir la responsabilité des acteurs étatiques et non étatiques, prévenir la non-répétition des atrocités,  construire les bases d’une société apaisée face aux traumatismes et favoriser la réconciliation au sein de la société congolaise et entre les pays de la région des Grands-Lacs.

En outre, vu le temps nécessaire pour la mise en place des juridictions pénales internationales et/ou hybrides à établir, nous exhortons la communauté internationale et les autorités congolaises à faciliter au plus vite le déploiement d’une équipe d’enquêteurs intégrée au Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme, comprenant entre autres des experts en anthropologie médico-légale, pour procéder à l’exhumation des nombreuses fosses communes afin de préserver et de collecter les éléments de preuve d’actes susceptibles de constituer des crimes internationaux perpétrés en RDC.

Ce processus d’exhumation, qui est un préalable aux efforts de poursuite et de jugement des bourreaux et de leurs commanditaires dans le cadre de la stratégie de justice transitionnelle à mettre en œuvre en RDC, permettra d’offrir une sépulture digne aux défunts et aux familles de faire leur deuil.

Mesdames, Messieurs,

Pour combler le déficit d’initiatives et d’action du gouvernement, les efforts de la société civile se poursuivent et nous saluons la publication en juillet 2024 du rapport documentaire sur les cas de crimes graves commis dans la Province du Sud Kivu de 1994 à 2024. Ce travail de recherche et de cartographie réalisé avec l’accompagnement de TRIAL International en collaboration avec Initiative Congolaise pour la Justice et la Paix (ICJP) vise à répertorier les violations graves des droits humains susceptibles de constituer des crimes internationaux.

Il complète et mets aussi à jour le travail de cartographie effectué dans le cadre du projet Mapping de l’ONU – qui ne couvrait que la période de 1993 à 2003 – et a vocation à servir de modèle aux acteurs de la société civile dans d’autres Provinces de la RDC.

Nous appelons donc à la duplication de cette initiative de cartographie à travers tout le pays pour faire émerger par la base l’impératif pour les autorités nationales de déployer la volonté politique pour mettre en œuvre les différents mécanismes de la justice transitionnelle.

Il s’agit d’un préalable indispensable pour empêcher que les atrocités présentes et passées ne se reproduisent, guérir notre société malade, instaurer un état de droit et élever nos enfants dans une culture des droits humains et de la paix.

En outre, nous aspirons à ce que la Cour Pénale Internationale poursuive ses enquêtes et ses poursuites en RDC pour les faits commis après le 1er juillet 2002, date de l’entrée en vigueur du Statut de Rome, et nous encourageons également les États européens à utiliser le principe de la « compétence universelle » pour mener des enquêtes et des poursuites sur les crimes graves commis en RDC, notamment ceux répertoriés dans le rapport Mapping. Il est temps que le France ne fasse plus défiler des criminels sur des tapis rouges à Paris mais qu’ils soient confrontés à une ligne rouge, celle de la loi. 

Mesdames, Messieurs,

Nous l’avons vu ensemble, les solutions existent et la paix et la justice sont possibles au cœur de l’Afrique. Mais tant que la volonté politique pour assurer une bonne gestion des minerais axée sur un développement local durable et le bien-être de la population et pour mettre en exergue la plus-value de la justice transitionnelle fera défaut, une soi-disant élite politico-militaire corrompue agissant en collusion avec les pays voisins déstabilisateurs soutenus par certaines puissances et des multinationales continuera de s’enrichir, et l’écrasante majorité de notre population croupira toujours dans la souffrance et la pauvreté. 

Je tiens aussi à alerter le monde occidental, l’Union européenne et la France des conséquences de l’indignation sélective et de l’humanisme à géométrie variable : alors que l’Afrique est souvent présentée comme le continent du futur, le déni de justice et de démocratie entraine dans le chef d’une nouvelle génération d’Africains un sentiment de rejet de plus en plus marqué des pays européens, et cette frustration latente risque de devenir patente si l’on ne crée par un environnement propice au développement et à la paix.

Il y a urgence à changer de cap ! A l’instar de tous les peuples, la Nation congolaise a le droit de disposer de ses ressources et de vivre en paix, à l’abri des interférences et des ingérences étrangères.

Le droit et la justice internationale doivent s’appliquer partout de la même manière. Toutes les échelles de responsabilités – au niveau national, régional et international – doivent être établies, et le Rwanda et l’Ouganda sont dans l’obligation de rendre des comptes pour leurs agressions récidivistes et sur leurs rôles de premier plan dans le pillage des ressources naturelles et minières et la commission de crimes les plus graves en RDC.

Ce n’est que dans ces conditions que les pays de la région des Grands Lacs pourraient se réconcilier et cohabiter pacifiquement, et que la RDC pourra honorer dignement ses morts, panser ses plaies et construire avec les générations futures une Nation débarrassée de l’exploitation, de la souffrance, de l’humiliation et de l’injustice.

Nous appelons à une mobilisation générale, tant au niveau national, régional qu’international en soutien aux populations martyres du Congo pour avancer sur le chemin de la paix et de la justice.

Ensemble, citoyens et responsables politiques, organisations de la société civile et médias, construisons la paix durable et refusons toute atteinte à nos droits fondamentaux et un glissement vers des régimes autoritaires et inégalitaires ; restons chaque jour actif et vigilant à créer des ponts, à diffuser la vérité, à œuvrer pour la solidarité dans un esprit de fraternité et de coopération ; et réaffirmons notre foi dans la dignité humaine, l’égalité entre tous et la liberté pour tous.

Je vous remercie

Dr Denis Mukwege

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